L’hexagone photographiqueLes 8 piliers de l’artiste-reporter

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J’ai établi ce concept en mai 2016, très exactement après mes premières onze années de pratique photographique. Il s’agit d’ailleurs bien davantage d’un essai plutôt que d’un exposé car il s’efforce d’appréhender la définition de l’art photographique et du travail d’un photographe bien au-delà (presque) de tout caractère purement technique comme le triangle photographique ou bien encore le regard créatif. Profitant d’un recul constructif par rapport aux milliers d’heures consacrées à ma passion pour l’image ainsi que me référant parallèlement à la propre expérience de tous les vieux maîtres de ma discipline (Henri Cartier-Bresson étant le plus cité à très juste raison) et de quelques intellectuels particulièrement charismatiques, l’hexagone photographique représente la vision la plus large que je puisse porter sur l’exercice créatif de l’artiste-reporter conformément à la citation d’Isaac Newton (1643-1727) : “Lorsque deux forces sont jointes, leur efficacité est double.”

Lecture du concept

“L’artiste-reporter exige tout de lui. Il ne s’agit pas seulement d’un faiseur d’images. Il est en réalité un peu tout à la fois : observateur, biographe, dessinateur, journaliste, poète et romancier. Il est cet hexagone souverain insatiable de curiosité, continuellement tiraillé par la recherche de constance, de qualité et d’efficacité dans ses observations, comme la France ayant vu naître beaucoup de pionniers de la photographie. Passionné éternel de sa discipline et prisonnier de l’image, il lui faut aimer toujours pour demeurer audacieux, authentique et impliqué ; ceci malgré tous les risques de produire quelques oeuvres pouvant paraître maladroites ou mal comprises. En s’efforçant d’être lui-même en surpassant le jugement des autres par sa résistance propre à la diabolique tentation de faire ressembler ses oeuvres à quelqu’un d’autre, il écrit peu à peu le livre de sa vie, un livre absolument unique parmi tant d’autres, un livre de témoignages avec lequel son plus terrible détracteur se devra de composer tel le sillon constant et bien droit d’une pensée véritable. Mieux que quiconque, il est à même de ressentir profondément le bien-fondé d’un cliché. C’est de ce travail continuel de l’intelligence et du coeur d’une incontournable constance dont il tirera sa puissance d’auteur.

Aux prises avec des instants fugitifs où les rapports sont mouvants, sa qualité de compositeur s’impose progressivement au fur et à mesure où il accepte d’écouter son intuition au bon milieu de la mare de probabilités dans lequel il est plongé. Comme la morue, c’est en multipliant les tentatives comme des oeufs qu’il augmente la probabilité de l’éclosion d’oeuvres remarquables. L’efficacité vient ensuite par la conjugaison de spontanéité et de simplicité dans l’action. Libéré du poids écrasant de la traumatisante expérience du syndrome de l’accumulation de matériel, il simplifie à l’extrême son instrument d’expression afin de magnifier ce qui reste en lui de la réceptivité de l’enfant qui regarde le monde pour la première fois.

L’appareil photo, simple, léger, discret, silencieux, très aisément transportable, se limitant dorénavant à une focale unique, il se fait oublier à l’égal d’un carnet de croquis pour que, à la moindre émotion, au moindre choc, concentration, sensibilité et sens de la géométrie puissent être les seuls guides de cet instant durant lequel l’artiste est réellement créatif. Après tant de déclenchements pour « signifier » le monde, il réalise en art comme en amour que l’instinct suffit et que pour sacrer le tout, la simplicité est la réussite absolue telle une récompense venant couronner l’art.”

De cette lecture, le débutant ou le photographe en proie à bien des interrogations se devra de conserver à l’esprit ces 6 lignes de conduite :

1) La photo est avant tout une histoire d’amour ; il faut aimer toujours pour tracer son sillon dans cet univers.
2) S’inspirer au mieux mais ne jamais tenter de copier les oeuvres d’un autre
3) Se tenir à une constance dans les sujets photographiés pour un témoignage lisible, en cohérence et donc en puissance. Il convient alors de se fixer un but.
4) Ne jamais se laisser décourager par ses détracteurs en restant profondément impliqué vis à vis de ses sujets pour ne pas dire, être prisonnier de ses cibles.
5) Abandonner les certitudes pour débrider sa créativité par l’acceptation de prendre certaines photos qui ne semblent pas intéressantes au premier abord. Au développement, il y a fréquemment des surprises car l’imprévu sait bien faire les choses.
6) Inutile de collectionner et d’emporter avec vous beaucoup d’objectifs sur vos terrains de reportage. Votre efficacité s’en trouvera nettement meilleure par la libération de votre spontanéité en utilisant l’instrument le plus simple et le moins encombrant possible.

Citations annexes par tandem de forces

Authenticité – Implication = Constance

“Sois toi-même. Je préfère de beaucoup voir quelque chose, même si elle est maladroite, qui ne ressemble pas à l’oeuvre de quelqu’un d’autre.” William Klein (1928-)

“La pensée véritable et authentique est semblable à une graine; elle est semée dans la terre fertile du cerveau.” Driss Chraïbi (1926-2007)

“Photographier, c’est une attitude, une façon d’être, une manière de vivre.” Henri Cartier-Bresson (1908-2004)

“Quand on est prisonnier de l’image, cela vous donne toutes les audaces.” Robert Doisneau (1912-1994)

“C’est peu d’aimer, il faut aimer toujours : on n’est heureux qu’à force de constance.” Fabre d’Eglantine (1750-1794)

“Le fait est que les qualités, toutes les qualités, réclament une constante vigilance, un esprit critique jamais en défaut, un travail continuel de l’intelligence et du coeur.” Francesco Alberoni (1929-)

Intuition – Probabilité = Qualité

“L’homme de qualité exige tout de soi. C’est un souverain. L’homme sans qualité exige tout des autres. C’est un despote.” Louis Pauwels (1920-1997)

“La composition doit être une de nos préoccupations constantes, mais au moment de photographier elle ne peut être qu’intuitive, car nous sommes aux prises avec des instants fugitifs où les rapports sont mouvants.” Henri Cartier-Bresson (1908-2004)

“Il y a une fraction de création d’une seconde lorsque vous prenez une photo. Votre ?il doit voir une composition ou une expression que la vie elle-même vous offre et vous devez savoir avec intuition quand déclencher. Tel est le moment où le photographe est créatif. Une fois que vous le manquez, il est parti pour toujours.” Henri Cartier-Bresson (1908-2004)

“En art comme en amour, l’instinct suffit.” Anatole France (1844-1924)

“Le photographe est comme la morue qui pond un million d’oeufs afin qu’un puisse éclore.” Georges-Bernard Shaw (1856-1950)

Spontanéité – Simplicité = Efficacité

“Cela fait partie du travail du photographe de voir plus intensément que la plupart des gens. Il doit avoir et garder en lui quelque chose de la réceptivité de l’enfant qui regarde le monde pour la première fois ou du voyageur qui pénètre dans un pays étrange.” Bill Brandt (1904-1983)

“Le talent s’exprime souvent dans la spontanéité de l’imprévu.” Marc Lévy (1961-)

“La simplicité est la réussite absolue. Après avoir joué une grande quantité de notes, toujours plus de notes, c’est la simplicité qui émerge comme une récompense venant couronner l’art.” Frédéric Chopin (1810-1849)

“Si il n’y a pas d’émotion, si il n’y a pas de choc, si on ne réagit pas à la sensibilité, on ne doit pas prendre une photo, c’est la photo qui nous prend.” Henri Cartier-Bresson (1908-2004)

“L’appareil photo est pour moi un carnet de croquis, l’instrument de l’intuition et de la spontanéité, le maître de l’instant qui, en termes visuels, questionne et décide à la fois. Pour « signifier » le monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l’on découpe à travers le viseur. Cette attitude exige de la concentration, de la sensibilité, un sens de la géométrie. C’est par une économie de moyens et surtout un oubli de soi-même que l’on arrive à la simplicité d’expression.” Henri Cartier-Bresson (1908-2004)

“On reconnaît le vrai à son efficacité, à sa puissance.” Robert Bresson (1901-1999)