La notion du grossissement
Dès 2006, Pierre STROCK, l’inventeur génial du principe d’un télescope de voyage aisément transportable et rapidement mobilisable dès que le ciel peut offrir une fenêtre d’observation, déclarait sur son site internet :
« Il faut pouvoir grossir.
Un ethnologue serait heureux d’étudier le monde des astronomes amateurs. Ceux qui parlent le plus et le plus savamment ne sont pas ceux qui observent le plus. Ceux qui pratiquent beaucoup sont peu loquaces. Ceux qui parlent le plus ne conseillent quasiment jamais de grossir fortement. Et ceux qui observent assidûment utilisent des grossissements qui font peur.
Étonnant, non ?
Prenez par exemple Nicolas BIVER qui passe entre 40 et 80 heures à l’oculaire lors d’une opposition martienne et qui fait dans les 30 à 60 dessins selon les oppositions. Il travaille à plus de 400 fois et souvent à 700 fois sur un 400 mm. Personnellement, j’ai observé que lorsque je ne pouvais pas grossir à plus de 350 fois sur Mars, du fait de la turbulence, je suis peu motivé et je retourne me coucher très vite. Alors je pense que si l’on pratique réellement, on grossit beaucoup. Encore faut-il que l’instrument le permette par sa stabilité et que l’on ai la panoplie optique pour cela.
Si l’instrument limite le grossissement, il va limiter la pratique… »
Particulièrement intéressant de lire des propos pareils car ceci démontre à quel point, il existe, il est vrai, plusieurs catégories d’observateurs. Démonstration d’autant plus facile à avancer dans une longue période de météo désastreuse pendant de longues semaines dont les quelques rares trouées utilisables se produisent systématiquement en semaine travaillée ou au cours d’une période particulièrement troublée (comme celle subie entre 2020 et 2022), compliquant particulièrement la pratique à un observateur des villes sauf s’il a le privilège de son petit pré-carré chez lui, orienté plein Sud bien dégagé afin de pouvoir pointer des planètes (comme Jupiter et Saturne à proximité du Sagittaire quand elles n’atteignent pas les 20° d’altitude à leur passage au méridien). Sans oublier justement Mars dont les oppositions les plus favorables en diamètre apparent, à la différence du cru 2020 particulièrement exceptionnel, se produisent bien souvent à basse altitude par rapport à l’horizon.
Particulièrement intéressant de lire des propos pareils car on pourra aussi aisément démontrer, sans trop d’efforts, le contenu un peu déroutant d’une telle déclaration si on s’en tient à des grossissements qui font peur et une pratique très régulière de l’observation se limitant seulement à quelques rares personnalités de l’astronomie bénéficiant tout d’abord de prédispositions particulières à observer beaucoup (comme neurologiques, leur métier, leur disponibilité et les moyens logistiques), tout comme la capacité à pouvoir magnifier le résultat de leurs observations au bout d’un crayon (ce qui sous-entend également un vrai talent de dessinateur qui fera la différence). Il apparaît donc effectivement que le monde des astronomes amateurs, comme beaucoup de micro-sphères dans tous les amateurismes, pourrait sembler passionnant à étudier par la simple nécessité de rappeler que la tentation sous-jacente de l’être humain, plus ou moins délicate, à toiser un paradigme contraire à ses idées, lui est propre.
Si on s’éloigne un temps soit peu du tout petit groupe des « fanatiques » de l’observation visuelle à outrance, doté de talents rares qui font sa renommée et les raisons que l’on puisse admirer ses principales stars au firmament, on constatera rapidement que l’astronomie est surtout affaire de beaucoup d’imageurs qui se contentent bien souvent de jeter juste un œil de temps en temps à l’oculaire, pour le plaisir simplement de s’émerveiller du réel à des grossissements autour du rapport résolvant G/D de 1 (200x pour un 200mm) ou bien d’observateurs visuels à l’instrumentation modeste (254mm d’ouverture au grand maximum) qui ne sortiront leur instrument que quelques nuits par an, à l’occasion d’une bonne probabilité entre bien souvent leurs congés, un lieu propice et un ciel étoilé particulièrement motivant, pour la même recherche d’émerveillement à des grossissements dont la question même qu’il puisse limiter leur pratique, ne les effleurent même pas. Car, le fait déjà de pouvoir simplement regarder la lune un de ces rares soirs est tellement magnifique ! Ceux qui parlent le moins et qui pratiquent le plus, devraient parfois se montrer un peu plus loquaces à admettre qu’ils sont, quelque-part, d’une manière ou d’une autre, de parfaits privilégiés.
Enfin, concernant le grossissement en astronomie, qui fait bien souvent les choux gras des forums, surtout quand il s’agit d’observation planétaire ; une lecture appliquée démontrera pareillement qu’il est une question de beaucoup de facteurs et pas seulement du fait d’observer beaucoup. Le grossissement, avant d’être naturellement une question d’atmosphère (turbulence), il peut aussi être une question de luminosité comme de contraste global de la planète, de la qualité optique de l’instrument comme du bon choix de l’oculaire, sans oublier sa formule mécanique (monture et nature de la motorisation).
Ainsi, grossir peut s’entendre différemment, selon si l’instrument est doté d’un suivi sidéral ou bien que le suivi est manuel comme un Dobson. Grossir peut s’avérer également différent sur Jupiter ou Mars, les retours réguliers de beaucoup d’observateurs laissant entendre que Jupiter accepte rarement un rapport G/D supérieur à 1,2 alors que Mars comme Saturne acceptent des ratios entre 1,7 et 2 beaucoup plus facilement, même pour des observateurs occasionnels. Là, se pose la question d’être réaliste, d’autant que au-dessus de 250x, à moins d’équiper le télescope d’un oculaire particulièrement coûteux au champ apparent parfaitement plan d’au-moins 82°, le suivi manuel d’une planète devient difficile pour le commun des observateurs pour que l’observation ait des chances de s’avérer utile sur le plan de détection de détails fins comme d’une retranscription précise de ceux-ci sur le papier. Ainsi, me semble-t-il important d’en conclure que les quelques observateurs amateurs francophones bénéficiant de tous les ingrédients pour aller au bout de leurs capacités visuelles, du pouvoir séparateur de leur instrument et de leur désir insatiable d’observer, devraient admettre que l’astronomie ne se limite pas à leur propre système de pensée car avant tout, l’amateur, c’est « celui qui aime » et il est parfois désastreux, sur une simple notion comme le grossissement, de ressentir un tel clivage dédaigneux sur la notion de quantité qui éveillait jadis la publicité d’une célèbre marque de plats préparés.
L’astronomie, c’est un loisir relaxant qui devrait s’épargner à tout prix d’épouser l’esprit de compétition du sport. L’intérêt en astronomie, ce n’est pas d’en manger le plus mais de savoir savourer parfois, le peu que le quotidien puisse nous offrir.